Le Tao Te King
生之徒,十有三;
死之徒,十有三;
人之生,動之於死地,亦十有三。
夫何故?以其生生之厚。
蓋聞善攝生者,
路行不遇兕虎,入軍不被甲兵;
兕無所投其角,虎無所措其爪,兵無所容其刃。
夫何故?以其無死地。
Sortir, c'est la vie ; entrer, c'est la mort.
Les compagnons de la vie sont trois sur dix ;
Les compagnons de la mort sont trois sur dix ;
Ceux qui, par amour de la vie, meuvent leurs actions vers la terre de la mort sont aussi trois sur dix.
Pourquoi cela ? Parce qu'ils nourrissent leur vie avec trop d'abondance.
Or, j'ai entendu dire que celui qui sait bien préserver sa vie,
Voyageant sur terre, ne rencontre ni rhinocéros ni tigre ;
Entrant dans l'armée, ne porte ni cuirasse ni armes.
Le rhinocéros n'a pas où planter sa corne ;
Le tigre n'a pas où poser ses griffes ;
L'arme n'a pas où loger sa lame.
Pourquoi cela ? Parce qu'il n'a pas en lui de terre de mort.
Lao Tseu nous enseigne que l'attachement excessif à l'existence matérielle finit par consumer l'énergie vitale qu'il cherche pourtant à préserver.
La majorité des hommes précipitent leur propre fin en cherchant à "vivre trop fort", ce que le texte nomme "l'épaisseur de la vie" (Sheng Sheng Zhi Hou).
C'est une critique subtile de l'hédonisme effréné et de l'accumulation, qui rappelle la vanité des plaisirs mondains souvent évoquée par les moralistes français.
En voulant saturer la vie par des excès sensoriels ou une ambition dévorante, on l'épuise paradoxalement, comme une flamme que l'on gave de trop d'oxygène.
Cette lourdeur de l'existence devient un fardeau, rendant l'esprit pesant et le corps vulnérable aux vicissitudes du destin.
Pensez à la grande cuisine : un plat trop riche en beurre et en crème sature le palais au lieu de le ravir, menant à l'écœurement.
De même, l'existentialisme nous montre que l'angoisse naît souvent d'une volonté trop rigide de définir et de saisir son être, au lieu de le laisser se déployer.
L'invulnérabilité véritable ne provient pas d'une armure extérieure, mais d'une vacuité intérieure qui n'offre aucune cible à l'adversité.
L'image de l'homme qui marche sans crainte parmi les tigres n'est pas celle d'un guerrier armé, mais d'un sage détaché de son ego.
Si l'on n'a pas de "moi" solide et rigide à défendre, les attaques du monde traversent sans blesser, car il n'y a pas de surface de friction.
C'est l'idée fondamentale du "Wu Si Di" (sans terre de mort) : la mort ne trouve pas d'endroit où s'accrocher car il n'y a pas de rigidité.
C'est une forme de transparence spirituelle, une fluidité absolue qui échappe aux griffes du destin.
Dans un débat intellectuel passionné, celui qui ne défend aucun dogme rigide ne peut être contredit ou humilié par son adversaire.
Comme le roseau de la fable qui plie sous le vent sans rompre, le sage survit là où le chêne orgueilleux se brise.
Protéger sa vie exige une économie de l'énergie et un refus de s'exposer inutilement aux dangers de l'ambition et du conflit.
Les "trois sur dix" qui marchent vers la mort sont ceux qui s'activent frénétiquement, gaspillant leur Qi dans des luttes stériles.
Le Taoïsme prône une conservation de l'énergie par la modération et le calme intérieur, loin de l'agitation du monde moderne.
Ce n'est pas une passivité morbide, mais une activité juste, dénuée de friction inutile et d'émotions destructrices.
En évitant les extrêmes et les désirs violents, on maintient son intégrité physique et spirituelle, durant longtemps sans s'user.
C'est l'art de vivre du flâneur qui observe le monde avec délice sans s'y perdre, préservant son énergie pour la contemplation.
Ou l'amateur de vin averti qui déguste avec retenue pour apprécier la subtilité et la longueur en bouche, plutôt que de s'enivrer grossièrement.
Le Problème : Dans le monde corporatif actuel, un cadre supérieur se sent obligé de justifier son statut par une hyperactivité constante et une disponibilité totale. Il accumule les dossiers, reste connecté tard le soir et vit chaque projet comme une question de survie. Cette identification excessive à son rôle crée une "terre de mort" où le stress et l'anxiété consument sa santé physique et mentale.
La Solution Taoïste : Il faut cesser de "vivre avec épaisseur". Cultivez le détachement intérieur : agissez avec compétence mais sans y engager votre ego ou votre valeur personnelle. En retirant l'identification émotionnelle du travail ("ce n'est pas *ma* vie qui est en jeu"), vous supprimez la cible du stress. Vous devenez fluide et insaisissable face à la pression, préservant votre énergie vitale tout en restant efficace, tel un artisan serein plutôt qu'un guerrier épuisé.
Le Problème : Lors d'un dîner ou d'une réunion, les esprits s'échauffent sur des sujets polémiques. Une personne, campée sur ses positions, prend chaque contradiction comme une attaque personnelle. Elle argumente avec véhémence, cherchant à écraser l'autre par sa rhétorique, mais finit par s'isoler, se blesser émotionnellement et offrir une prise facile à l'agressivité d'autrui, transformant l'échange en champ de bataille.
La Solution Taoïste : Devenez "sans lieu de mort" en ne présentant aucune surface rigide d'opinion à laquelle l'agression peut s'accrocher. Au lieu de contre-attaquer, écoutez avec une neutralité bienveillante, comme si les mots vous traversaient sans résistance. Si vous ne défendez pas une image figée de vous-même, les "cornes" et les "griffes" de l'interlocuteur ne trouvent rien à percer. Le conflit s'éteint faute de combustible, et la relation est préservée par cette souplesse diplomatique.
Le Problème : Une personne obsédée par le "bien-être" multiplie les régimes draconiens, les entraînements sportifs excessifs et les suppléments coûteux. Cette quête anxieuse de la jeunesse éternelle devient une source de tension majeure. En voulant forcer le corps à une vitalité artificielle par la volonté, elle crée un déséquilibre interne et une fatigue chronique, illustrant ceux qui "meuvent leurs actions vers la terre de la mort".
La Solution Taoïste : Revenez à la simplicité naturelle et cessez de traiter le corps comme une machine à optimiser par la force. Adoptez une hygiène de vie intuitive : mangez des produits de saison avec plaisir mais sans excès, et bougez avec fluidité plutôt qu'avec violence. En relâchant la peur de vieillir et la crispation mentale sur la santé, l'énergie vitale (Qi) circule librement. C'est l'art de laisser le corps s'autoréguler en harmonie, sans interférence excessive de l'esprit.