Le Tao Te King
既得其母,以知其子;
既知其子,復守其母,沒身不殆。
塞其兌,閉其門,終身不勤。
開其兌,濟其事,終身不救。
見小曰明,守柔曰強。
用其光,復歸其明,無遺身殃;
是謂習常。
L'univers a un commencement, qui est la Mère de l'univers.
Dès que l'on possède la Mère, on connaît ses enfants.
Bien que l'on connaisse les enfants, si l'on garde la Mère, on peut mourir sans périr.
Clore sa bouche, fermer ses portes, c'est, jusqu'à la fin de ses jours, ne pas s'épuiser.
Ouvrir sa bouche, se mêler des affaires, c'est, jusqu'à la fin de ses jours, être sans salut.
Voir le petit s'appelle clairvoyance. Garder la douceur s'appelle force.
Faire usage de sa lumière pour revenir à sa clairvoyance, c'est ne pas s'exposer à la calamité.
C'est ce qu'on appelle pratiquer l'éternité.
Lao Tseu utilise la métaphore de la Mère (le Tao, l'origine) et des Enfants (les manifestations, les objets) pour illustrer notre rapport au monde.
Dans la pensée occidentale, nous avons tendance à nous focaliser sur les phénomènes visibles, oubliant la source invisible qui les nourrit, tel un arbre dont on admirerait les feuilles en ignorant les racines.
Si l'on s'attache uniquement aux "enfants" — les succès, les possessions, les apparences — on devient vulnérable aux changements inévitables de la fortune.
En gardant le lien avec la "Mère", cette source intérieure de calme et de potentialité, on traverse les vicissitudes de l'existence avec une sérénité inébranlable.
C'est une invitation à une introspection qui dépasse le simple "cogito" pour toucher l'essence de l'être.
Imaginez un architecte qui ne perd jamais de vue l'esprit du lieu malgré les contraintes techniques du chantier.
Ou un musicien qui, au milieu de la complexité d'une symphonie, reste connecté au silence d'où jaillit chaque note.
Le texte nous enjoint de "clore la bouche" et de "fermer les portes", une image puissante pour la gestion de nos sens et de notre attention.
Dans notre société moderne hyper-connectée, nous sommes constamment sollicités, dispersant notre "Qi" (énergie vitale) dans des futilités et des débats stériles.
Cette dispersion mène à l'épuisement spirituel, une forme de fatigue existentielle que même le repos physique ne peut guérir.
Il ne s'agit pas de s'isoler comme un ermite, mais de choisir consciemment où diriger son regard et son écoute, cultivant une intériorité riche.
C'est l'art de la rétention, similaire à la décantation d'un grand vin : il faut du temps et du calme pour que la clarté émerge du trouble.
Pensez à la décision de ne pas réagir immédiatement à une provocation sur les réseaux sociaux pour préserver sa paix mentale.
Ou à la pratique du silence lors d'un repas gastronomique pour savourer pleinement les saveurs, plutôt que de parler sans cesse.
"Voir le petit s'appelle clairvoyance ; garder la douceur s'appelle force." Cette maxime renverse nos conceptions habituelles de la puissance, souvent associées à la rigidité et à l'ampleur.
La vraie lucidité consiste à repérer les signes avant-coureurs, les nuances infimes dans une conversation ou une atmosphère, avant qu'ils ne deviennent des problèmes majeurs.
De même, la souplesse n'est pas une faiblesse, mais une résilience supérieure, comme le roseau de la fable qui plie mais ne rompt pas face à la tempête.
Utiliser sa propre lumière pour éclairer son intérieur (le retour à soi) protège des calamités extérieures.
C'est une sagesse pragmatique qui valorise l'adaptation et la finesse d'esprit plutôt que la confrontation brutale.
Un diplomate fait preuve de cette sagesse lorsqu'il dénoue une crise en remarquant un léger changement de ton chez son interlocuteur.
De même, un jardinier soigne une plante dès l'apparition de la première feuille jaunie, évitant ainsi la maladie de tout l'arbre.
Le Problème : Dans le monde professionnel actuel, la pression pour être constamment joignable est immense. Un cadre reçoit des notifications incessantes, confondant urgence et importance, ce qui fragmente sa concentration et draine son énergie mentale, le laissant vide et anxieux à la fin de la journée.
La Solution Taoïste : Appliquer le principe de "fermer les portes". Il faut instaurer des rituels de fermeture sensorielle stricts. Par exemple, éteindre son téléphone deux heures avant le coucher ou pratiquer le "mode avion" durant les tâches créatives profondes. En coupant le flux incessant d'informations (les "affaires"), on préserve son intégrité intérieure. C'est retrouver la maîtrise de son temps pour être plus présent à ce qui compte vraiment.
Le Problème : Lors d'un débat passionné, une discussion s'envenime. L'un des participants, rigide dans ses opinions, cherche à imposer son point de vue par la force verbale, créant une atmosphère tendue. Il ne voit que le "gros" (l'argument) et ignore le "petit" (l'émotion de l'autre).
La Solution Taoïste : Adopter la "force de la douceur". Au lieu de contre-attaquer avec des arguments logiques brutaux, il convient d'observer les signaux subtils de malaise. On répond par la souplesse, peut-être en changeant de sujet avec élégance ou en validant l'émotion sans valider l'opinion. En "utilisant sa lumière pour revenir à la clarté", on évite le désastre relationnel et on préserve le lien social.
Le Problème : Un entrepreneur est obsédé par les résultats immédiats et les métriques de performance (les "enfants"). Il court après chaque nouvelle tendance du marché, épuisant ses ressources et son équipe dans des pivots incessants, sans jamais consolider les fondations de son entreprise. Il a perdu le contact avec la vision originale.
La Solution Taoïste : Il est crucial de "revenir à la Mère". Avant de lancer une nouvelle initiative, le leader doit s'arrêter et se demander : "Cette action est-elle alignée avec notre raison d'être fondamentale ?" C'est pratiquer l'éternel dans le quotidien. En s'ancrant dans la mission première plutôt que de réagir aux fluctuations de surface, on navigue avec une autorité naturelle et on cesse de s'épuiser inutilement.